Editorial

Quand Washington nomme nos bourreaux : menace ou opportunité pour Haïti ?

todayMay 4, 2025

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La politique américaine, même lorsqu’elle s’annonce comme un appui à la lutte contre le terrorisme, ne doit jamais être perçue comme neutre. En déclarant les gangs haïtiens Gran Grif et Viv Ansanm comme organisations terroristes étrangères, le gouvernement de Donald Trump, bien qu’en dehors du pouvoir exécutif, a lancé une bombe politique et stratégique. Cette décision soulève un tumulte de questions : Que cherche réellement Washington ? Quelles conséquences cette étiquette de terrorisme entraînera-t-elle pour Haïti ? Est-ce une opportunité pour affaiblir ces groupes criminels ou un prétexte de plus pour affirmer un contrôle indirect sur le pays ?

I. Une décision aux conséquences juridiques lourdes

La désignation comme organisation terroriste étrangère (Foreign Terrorist Organization – FTO) est une mesure prévue par la loi américaine (Immigration and Nationality Act, Section 219). Elle donne le pouvoir :

  • De geler les avoirs des personnes et entités liées aux groupes désignés ;

  • D’interdire toute transaction financière avec eux, y compris depuis des pays tiers ;

  • De poursuivre toute personne qui leur fournit « matériel, ressources ou soutien », y compris des individus opérant en Haïti ou dans la diaspora.

Ainsi, tout acteur lié de près ou de loin à ces gangs, même indirectement (banques, intermédiaires, commerçants, douaniers corrompus, hommes politiques), peut désormais être arrêté ou sanctionné par les États-Unis. Ce n’est plus seulement un problème haïtien, c’est désormais une affaire internationale.


II. Pourquoi maintenant ? Le contexte mondial et local

Le timing de cette déclaration n’est pas anodin. Elle survient dans un contexte de :

  • Recomposition géopolitique : La Russie, la Chine, l’Iran, et même la Turquie renforcent leurs relations en Amérique latine. Haïti devient un point stratégique dans la zone Caraïbe, et les États-Unis veulent garder le contrôle.

  • Présence grandissante de réseaux criminels transnationaux : Certains gangs haïtiens sont liés au trafic d’armes venant de Floride, au narcotrafic, et au blanchiment d’argent via les banques offshore.

  • Pressions de la diaspora haïtienne aux États-Unis, qui milite activement pour que le gouvernement américain cesse d’ignorer la montée de la violence à Port-au-Prince.

Mais c’est aussi une manœuvre politique. Donald Trump cherche à affirmer son leadership à l’approche des élections de 2024. Il montre qu’il reste une figure d’autorité en matière de sécurité, même hors du pouvoir. C’est une manière de dire : « sous ma gouvernance, les terroristes – même haïtiens – seront traqués ».


III. Une décision à double tranchant

D’un côté :

  • Elle renforce la pression internationale sur les gangs ;

  • Elle peut encourager une coopération régionale, surtout avec la Jamaïque, les Bahamas, la République dominicaine et Cuba, tous menacés par les réseaux haïtiens ;

  • Elle peut aider à tracer les circuits de financement illégal, notamment dans les transferts d’argent depuis les États-Unis vers Haïti.

Mais de l’autre :

  • Elle risque de justifier une ingérence militaire, sous prétexte de “lutte antiterroriste” ;

  • Elle peut déstabiliser encore plus le pays, si elle n’est pas accompagnée d’un appui diplomatique et institutionnel pour reconstruire la justice et la police ;

  • Elle peut être utilisée comme alibi par des acteurs corrompus pour éliminer des opposants ou se blanchir politiquement.


IV. Qui tire les ficelles ? Un jeu d’influences multiples

Plusieurs groupes d’intérêt peuvent être derrière cette décision :

  • Le complexe militaro-sécuritaire américain, qui voit dans Haïti un nouveau terrain pour déployer ses capacités sans engagement militaire direct ;

  • Des multinationales souhaitant accéder plus facilement à des zones minières, notamment dans le nord et le centre du pays, sans devoir négocier avec des bandes armées ;

  • Des acteurs politiques haïtiens, qui pourraient encourager une intervention étrangère afin de reprendre le pouvoir ou d’éliminer des rivaux.

N’oublions pas que des dirigeants haïtiens ont par le passé utilisé des désignations terroristes pour justifier la répression ou obtenir de l’aide internationale à des fins personnelles. Il faut donc rester extrêmement vigilant.


V. Que doit faire Haïti ? Un plan d’action en cinq points

  1. Créer une commission nationale d’investigation indépendante sur les liens entre l’élite et les gangs, avec soutien international neutre (OEA, CARICOM, etc.).

  2. Activer les mécanismes de coopération juridique avec les États-Unis, pour identifier les comptes bancaires, les transferts, et les réseaux liés aux gangs.

  3. Renforcer les unités de renseignement au sein de la PNH (Police Nationale d’Haïti), avec un appui technique extérieur, mais sans perte de souveraineté.

  4. Adopter une loi haïtienne sur le financement du terrorisme, conforme aux standards internationaux, pour prévenir l’implantation d’autres groupes violents.

  5. Dialoguer avec la diaspora pour filtrer les appuis involontaires aux gangs et réorienter les transferts d’argent vers le développement local.


Conclusion : Vers une souveraineté en sursis ?

La désignation de Gran Grif et Viv Ansanm comme groupes terroristes n’est pas une victoire : c’est un test. Soit Haïti en profite pour briser l’alliance criminelle entre politique, argent sale et gangs. Soit elle se laisse glisser vers un nouveau cycle de dépendance, où le pays ne contrôle plus ni sa sécurité, ni sa justice.

Les responsables haïtiens doivent comprendre que la lutte contre les gangs ne peut pas être confiée aux autres. Il faut une réponse haïtienne, forte, structurée, visionnaire. L’alternative, c’est la mise sous tutelle – politique, économique, ou militaire.

Haïti a trop souvent subi. Il est temps maintenant de décider.


🎤 C’était Camille Israel pour Info Reflex sur Radio Haïti Fusion. Restons vigilants, critiques, et patriotes. Haïti ne doit plus être le théâtre des décisions des autres.

Written by: haitiadmin

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